Stop, arrêtez tout.
Si à tout hasard vos yeux de lecteur averti ne sont pas encore posés sur l'oeuvre de Jaworski, il faut le faire, là, maintenant, toute affaire cessante.
Jaworski est un professeur de français exerçant dans la froide et jolie ville de Nancy. Très médiéviste, le bougre a un passif de création de scénarios (tous excellents) pour des jeux de rôle, et il est passé à la vitesse supérieure en publiant d'abord le recueil de nouvelles Janua Vera, 7 histoires très variées, marquées par des personnages forts, qui permettent de poser l'univers imaginé par Jaworski : le Vieux Royaume.
Ce qui frappe instantanément à la lecture, c'est le langage - mon dieu, ce gars là a une plume incroyable. Habitués que nous sommes à des romans de fantasy souvent d'origine anglo-saxonne et souvent (hélas) traduits à la va-vite par des tâcherons embauchés à moindre coût par des éditeurs soucieux de faire des économies, nous sommes rarement confrontés à une fantasy exigeante en termes de lecture, littéraire à mort, le genre d'oeuvre qui donne ses lettres de noblesse à un genre tout entier par une exigence de style que n'aurait pas reniée Flaubert.
Le roman qui a suivi, Gagner la guerre, est simplement hallucinant.
Oubliez vos clichés de la fantasy, vous plongez ici en eaux troubles en suivant les pas de l'assassin-cynique à la langue bien pendue Don Benvenuto. L'atmosphère de la ville principale, presque un personnage à part entière, évoque avec bonheur la renaissance italienne. La magie est présente mais se fait discrète et crédible. Quant au bon vieux manichéisme de la fantasy, Jaworski lui tord le cou de façon radicale et définitive : pas de bons ni de méchants, juste des intérêts divergents, des plans et des manoeuvres pour s'assurer un avenir ou pas, des politiciens tout imprégnés de Machiavel. Extraordinaire.
Pour juger de la qualité d'écriture, regardez un peu ça :
"À peine le temps de me pencher au-dessus du bastingage : mon dernier repas, arrosé de piquette, a jailli hors de mes lèvres. Il a suivi une trajectoire fétide avant de se perdre dans l'écume et les vagues. Encore convulsé par les haut-le-coeur, j'ai essuyé les filaments baveux qui me poissaient le menton. Deux toises plus bas, l'océan se soulevait et bouillonnait, cinglé en cadence par les longues rangées de rames.
Je n'ai jamais aimé la mer.
Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté des flots, ils n'ont jamais posé le pied sur une galère. La mer, ça secoue comme une rosse mal débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre, ça se soulève et ça retombe comme un tombereau sur une ornière; et c'est plus gras, c'est plus trouble et plus limoneux que le pot d'aisance de feu ma grand-maman. Beauté des horizons changeants et souffle du grand large ? Foutaises ! La mer, c'est votre cuite la plus calamiteuse, en pire et sans l'ivresse.
Je n'ai jamais aimé la mer, et ce n'était pas près de s'arranger. Tous les fiers-à-bras du château de poupe étaient en train de se payer ma tête. Les jeunes blancs-becs de l'aristocratie, les vieux enseignes des Phalanges, les quartiers-maîtres goguenards et le maître de manoeuvre au cuir recuit, tous : jusqu'à ce crevard de héros, le patrice Bucefale Mastiggia ! Pas un qui aurait eu la correction d'aller voir ailleurs. J'avais l'impression que la moitié de l'équipage ricanait sur la délicatesse de mon estomac. Benvenuto Gesufal, assassin émérite de la Guilde des Chuchoteurs, maître espion de son excellence le Podestat de la République, était en train de vider tripes et boyaux à grands hoquets clapoteux : sûr que ça vous gondolait son loup de mer. Même ces deux petits morveux, les mousses, me montraient toutes leurs dents de lait."
Vous m'achetez ces deux bouquins là, maintenant, là, allez, hop...
Si à tout hasard vos yeux de lecteur averti ne sont pas encore posés sur l'oeuvre de Jaworski, il faut le faire, là, maintenant, toute affaire cessante.
Jaworski est un professeur de français exerçant dans la froide et jolie ville de Nancy. Très médiéviste, le bougre a un passif de création de scénarios (tous excellents) pour des jeux de rôle, et il est passé à la vitesse supérieure en publiant d'abord le recueil de nouvelles Janua Vera, 7 histoires très variées, marquées par des personnages forts, qui permettent de poser l'univers imaginé par Jaworski : le Vieux Royaume.
Ce qui frappe instantanément à la lecture, c'est le langage - mon dieu, ce gars là a une plume incroyable. Habitués que nous sommes à des romans de fantasy souvent d'origine anglo-saxonne et souvent (hélas) traduits à la va-vite par des tâcherons embauchés à moindre coût par des éditeurs soucieux de faire des économies, nous sommes rarement confrontés à une fantasy exigeante en termes de lecture, littéraire à mort, le genre d'oeuvre qui donne ses lettres de noblesse à un genre tout entier par une exigence de style que n'aurait pas reniée Flaubert.
Le roman qui a suivi, Gagner la guerre, est simplement hallucinant.
Oubliez vos clichés de la fantasy, vous plongez ici en eaux troubles en suivant les pas de l'assassin-cynique à la langue bien pendue Don Benvenuto. L'atmosphère de la ville principale, presque un personnage à part entière, évoque avec bonheur la renaissance italienne. La magie est présente mais se fait discrète et crédible. Quant au bon vieux manichéisme de la fantasy, Jaworski lui tord le cou de façon radicale et définitive : pas de bons ni de méchants, juste des intérêts divergents, des plans et des manoeuvres pour s'assurer un avenir ou pas, des politiciens tout imprégnés de Machiavel. Extraordinaire.
Pour juger de la qualité d'écriture, regardez un peu ça :
"À peine le temps de me pencher au-dessus du bastingage : mon dernier repas, arrosé de piquette, a jailli hors de mes lèvres. Il a suivi une trajectoire fétide avant de se perdre dans l'écume et les vagues. Encore convulsé par les haut-le-coeur, j'ai essuyé les filaments baveux qui me poissaient le menton. Deux toises plus bas, l'océan se soulevait et bouillonnait, cinglé en cadence par les longues rangées de rames.
Je n'ai jamais aimé la mer.
Croyez-moi, les paltoquets qui se gargarisent sur la beauté des flots, ils n'ont jamais posé le pied sur une galère. La mer, ça secoue comme une rosse mal débourrée, ça crache et ça gifle comme une catin acariâtre, ça se soulève et ça retombe comme un tombereau sur une ornière; et c'est plus gras, c'est plus trouble et plus limoneux que le pot d'aisance de feu ma grand-maman. Beauté des horizons changeants et souffle du grand large ? Foutaises ! La mer, c'est votre cuite la plus calamiteuse, en pire et sans l'ivresse.
Je n'ai jamais aimé la mer, et ce n'était pas près de s'arranger. Tous les fiers-à-bras du château de poupe étaient en train de se payer ma tête. Les jeunes blancs-becs de l'aristocratie, les vieux enseignes des Phalanges, les quartiers-maîtres goguenards et le maître de manoeuvre au cuir recuit, tous : jusqu'à ce crevard de héros, le patrice Bucefale Mastiggia ! Pas un qui aurait eu la correction d'aller voir ailleurs. J'avais l'impression que la moitié de l'équipage ricanait sur la délicatesse de mon estomac. Benvenuto Gesufal, assassin émérite de la Guilde des Chuchoteurs, maître espion de son excellence le Podestat de la République, était en train de vider tripes et boyaux à grands hoquets clapoteux : sûr que ça vous gondolait son loup de mer. Même ces deux petits morveux, les mousses, me montraient toutes leurs dents de lait."
Vous m'achetez ces deux bouquins là, maintenant, là, allez, hop...